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Pourquoi l’album Eseringila a marqué un tournant pour Pierre Akendengué

Republié vingt ans plus tard avec l’album Mengo (1980), on y retrouve l’esprit militant et résolument panafricaniste du chanteur, mais aussi de nouvelles directions musicales qui tranchent avec ses précédents disques. Chronique.

1978. Deux ans après la parution de l’album Afrika Obota sur le label Saravah, Pierre Akendengué quitte la maison de disques de Pierre Barouh suite à un désaccord, et lance son propre label, Ntye (le pays). Il continue ses peintures des situations politiques africaines en empruntant à la fable ses personnages, inspirés des mythes traditionnels. C’est le cas d’Eseringila, mystérieux héros toujours à l’affût des nouvelles, et qui, dans le brouillard de l’ignorance générale, éveille les consciences en rappelant les combats toujours en cours au Zimbabwe, à Soweto… Eseringila sort aussi des ténèbres de l’oubli les portraits des héros et résistants africains : de Samori Touré à Shaka Zulu, et de Lumumba à Kwame Nkrumah. Evidemment, cela dérange :

En Afrique, dans la cité de nos pères, il y a une consigne : 

Lorsqu’un événement survient :
Vous n’avez rien vu !
S’agit-il d’une catastrophe ?
Vous la bouclez !

Alors, on fait passer Eseringila qui dit la vérité pour un simple d’esprit. Mais, chante le héros dans la voix d’Akendengue (en langue myene) : est-ce être simple d’esprit que d’aimer sa mère son pays ? On condamne Eseringila à l’exil. La population le soutient. Peut-être, derrière la fable, y’a-t’il une métaphore de ce que vit Akendengue, dont le pouvoir gabonais, ou ses obligés, trouvent les chansons subversives. Le malaise s’installe, et pour longtemps. Akendengue qui vit à Paris rentre de moins au moins au pays, la méfiance et parfois la peur au ventre.

Musicalement, l’album Eseringila marque un tournant. Après les premières œuvres aux couleurs acoustiques, Akendengue prend des habits électriques, et même funky, comme sur la chanson dont l’album porte le nom, dans laquelle une trompette rebelle rappelle celle du jazzman sud-africain Hugh Masekela. Le compositeur n’en oublie pas son héritage traditionnel, celui des paysages lagunaires de sa terre natale, Nandipo, dans la région gabonaise du Fernand Vaz. Certaines chansons (« Nwo Nyoni », « Ezelz », « Eswangongo ») ont des airs de cérémonies rituelles.

Sur cet album, Akendengue met en musique un texte du poète (et ami d’enfance) Pierre-Edgar Moundjegou. Voici un extrait d’ »Ezelz » (Arrête toi un moment) :

Si tu ris, arrête toi un moment
Si tu chantes, arrête toi un moment
Si tu danses, arrête toi un moment
Si tu pleures, arrête toi un moment
Si tu bas le tam-tam, arrête toi un moment
Le rire dans l’oppression
Le chant dans l’oppression
La danse dans l’oppression
Les larmes dans l’oppression
Le tam-tam dans l’oppression
Tuent la conscience
L’opprimé ne rit pas
ne chante pas ne danse pas ne pleure pas

Il lutte, les armes à la main

Extrait du Crépuscule des Silences, P.E. Moundjegou reproduit dans P.C. Akendengue ou l’épreuve du miroir, de J.J. Tindy-Poaty (L’Harmattan, 2008) auquel nous avons emprunté les traductions d’Eseringila.

Cet album marque un tournant dans la vie musicale d’Akendengue, et on y trouve déjà ce qui fera sa patte tout au long de sa longue carrière : des textes poétiques (en français comme en langue myénè), des orchestrations élaborées et des chœurs fantastiques. L’album Mengo (1980), réédité en même temps qu’Eseringila sur ce CD, confirme cette tendance, et contient notamment le magnifique « Aux dieux de ce monde », prière pacifiste jetée à la face des « bâtisseurs de déserts et autres marchands de canon ».

Pour aller plus loin on vous conseille deux ouvrages :

Ezele ! Pierre Akendengue, un cri de liberté de Guy Steve Retondah,
Ed° Raponda-Walker, Libreville, 2012

Pierre Claver Akendengue ou l’épreuve du miroir de Juste Joris Tindy-Poaty, L’Harmattan, Paris, 2008

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